La personnalisation des apprentissages
Depuis longtemps, les pédagogues ont essayé de répondre à ces attentes en introduisant la différenciation. Elle visait à refuser l’indifférence aux différences. « Différencier, c’est faire en sorte que chaque élève soit, aussi souvent que possible, placé dans une situation féconde pour lui. »(1) Malheureusement, à ce jour, nous constatons la très relative diffusion de ces pratiques. Pour deux raisons :
- d’abord parce que différencier demande plus de temps à l’enseignant pour préparer et conduire la classe,
- ensuite, parce que cela nécessite des compétences parfois très sophistiquées au niveau des organisations pédagogiques.
Les spécialistes des questions relatives à la prise en compte de la diversité des élèves ont alors évoqué la piste de l’individualisation : apporter une réponse individuelle à chaque élève. Mais également, cette voie s’est avérée une impasse pour plusieurs raisons : travailler seul représente une tâche que l’on peut difficilement tenir longtemps (l’humain est naturellement attiré par l’humain), les besoins en matériel nécessaire sont conséquents, les meilleurs élèves sont ceux qui en profitent le plus et le temps consacré à l’évaluation est démesuré au regard du temps nécessaire pour favoriser des apprentissages.
Devons-nous donc faire le deuil d’une école pour chacun et en rester à une scolarisation qui ne convient qu’à certains et condamne les autres à des horizons d’avenir moins émancipateurs ? Certainement pas. C’est ici que la philosophie de l’éducation s’avère éclairante.
En philosophie, une personne n’est pas un individu. L’individu se définit comme l’être insécable, indivisible, celui qui fait un. La personne est autre. Les mots persona chez les Romains et prosôpon chez les Grecs désignent un masque, utilisé au théâtre pour investir un personnage et servir de porte-voix. En conséquence, bien plus que l’individu, la personne est tournée vers les autres, englobe son propre environnement relationnel. C’est un philosophe toulousain, Louis Not, qui décrit le mieux cette distinction : alors que l’individu est le JE, la personne est le JE + NOUS. Nous touchons là une distinction hautement précieuse en pédagogie.
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Individualiser, c’est donner à chaque élève un travail qui lui correspond. Personnaliser les apprentissages, c’est trouver un équilibre entre l’individuel et l’interactif.
Dans une classe, c’est alterner des moments de travail collectif avec des situations de travail personnel, où les élèves effectuent des tâches qui leur parlent, avec la liberté de collaborer avec des camarades.
Nos recherches ont conduits à caractériser de manière plus fine cette personnalisation des apprentissages.[2] Elle s’articule autour de trois piliers, permettant à chacun de construire un équilibre, à chaque fois singulier :
- Le pilier du didactique - des situations d’enseignement-apprentissages conduites par un enseignant à partir des logiques socioconstructivistes : expression des représentations spontanées, exploration d’une situation-problème, conflit sociocognitif par du travail de groupe, confrontations, structuration par l’enseignant, systématisation
- Le pilier du travail individualisé – des activités adaptées et progressives : à partir d’un traitement individuel des évaluations formatives et de supports d’entraînements autocorrectifs permettant aux élèves de progresser suivants des parcours propres à chacun.
- Le pilier de la coopération – une organisation rigoureuse de l’aide, l’entraide, le tutorat et le travail de groupe : pour que les élèves qui maîtrisent des compétences deviennent des personnes ressources dans la classe, pour que ceux qui rencontrent une difficulté ne se retrouvent pas seuls et bloqués, pour que les interactions permettent une évolution majorante des conceptions, pour que l’enseignant ne soit plus seul dans la délicate entreprise de l’accompagnement des apprentissages.
Ainsi donc, une classe personnalisante tend à articuler de manière dialectique deux types de situations d’apprentissages pour les élèves : des moments de construction collective des connaissances, où l’enseignant n’hésite pas à combiner ce qu’apportent les élèves avec ce qu’il transmet, et des moments de travail personnel, où les élèves s’engagent dans des tâches scolaires adaptées, qu’ils se sont en partie données et qu’ils peuvent développer en coopération avec d’autres.
Pour aller plus loin : Connac, S. (2021). Pour différencier : individualiser ou personnaliser ? Education et Socialisation, 59, en ligne : https://journals.openedition.org/edso/13683
(1) Perrenoud Ph. (2012). L’organisation du travail, clé de toute pédagogie différenciée, ESF Editeur, p 26.
(2) Connac, S. (2012). La personnalisation des apprentissages. ESF Editeur.