Fondements théoriques
Sylvain Connac
Professeur des Universités, Montpellier Paul Valéry dpt sciences de l'éducation.
Pédagogies Coopératives
Pédagogies coopératives :
La coopération entre élèves se définit comme l’ensemble des situations où des élèves travaillent ou agissent ensemble, dans le but d’en retirer des bénéfices individuels d’apprentissages. Ces situations coopératives correspondent à des actions conjointes, sont intentionnelles pour les élèves (on ne les a pas forcés à coopérer) et ils en reconnaissent un intérêt personnel.
Dans les faits d’une classe, les pratiques coopératives se déclinent de plusieurs manières. D’abord par des dispositifs cherchant à développer le sentiment d’appartenance à un collectif, de la cohésion de groupe et du sentiment de sécurité, pour créer un espace « hors-menace ». Il est ici sujet des conseils coopératifs évoqués plus haut, mais également des marchés de connaissances, des jeux coopératifs, des discussions démocratiques (littéraires, scientifiques ou philosophiques) ou des « Quoi de neuf ? ».
Ensuite pour activer la dimension sociale des apprentissages. Sont possibles dans ce domaine le travail en groupe, l’aide, l’entraide, le tutorat, le travail en équipe ou le travail en atelier quand la consigne est d’être à plusieurs par atelier.
Les Nord-Américains sont à l’origine d’une autre approche de la coopération entre élèves, le cooperative learning. Contrairement aux conceptions européennes qui pensent la coopération comme un moyen aidant les élèves à mieux apprendre, celle-ci défend la coopération comme un objectif. Elle consiste à proposer des exercices coopératifs visant à développer chez les élèves des habiletés coopératives. C’est le cas notamment avec les classes-puzzles (jigsaw) ou les structures coopératives (Kagan, 2019).
Il existe d’autres formes de coopération que celles entre élèves, notamment de la coopération entre un enseignant et des élèves, de la coopération entre enseignants (bien qu’il s’agisse surtout de collaboration), de la coopération avec des partenaires de l’école ou des parents d’élèves.
Sylvain Connac, aout 2022
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Pédagogie institutionnelle
Pédagogie institutionnelle
Selon Fernand Oury (1920-1998), l’analyse du milieu éducatif comporte trois dimensions indissociablement liés, qui lui donnent équilibre et stabilité :
- une dimension matérialiste (Marx, Freinet) : l’apport de Freinet est d’abord technique. Le matériel dont l’enseignant dispose détermine les conditions (non suffisantes) d’une transformation pédagogique véritable en termes d’activité, de situations, de relations.
- une dimension sociologique (Lewin, Moreno) : il existe dans le groupe-classe des phénomènes dynamiques non réductibles à la somme des individus qui le composent : phénomènes de leader, de prises de pouvoir, ou comportements de suiveurs, de soumission, jeux d’alliances qui créent des sous-groupes. Ces effets de groupe génèrent des conflits qui doivent être élucider, pour favoriser la vie sociale et pour que la place de chacun soit reconnue.
- une dimension psychanalytique (Freud, Lacan, Dolto) : reconnu ou nié, l’inconscient est présent dans la classe. Quand la parole s’arrête, le symptôme « parle ». Bien que l’enseignant ne comprenne pas tout, qu’il se garde d’interpréter, il accueille la personne de l’élève dans sa globalité, en aménageant des lieux d’expression, de parole (place déterminante du langage), en permettant au sujet d’exister à part entière dans sa classe.
Les lignes directrices de la pédagogie institutionnelle, en dix points :
1 – Utiliser les techniques Freinet.
2 – Substituer aux « motivations-ersatz » (concurrence, notes, classements) une pédagogie de la réussite individuelle et collective.
3 – Remplacer la discipline de caserne par la discipline de chantier.
4 – Admettre que tous les enfants sont différents, que la classe homogène est un rêve.
5 – Aménager les progressions didactiques pour que l’école soit « sur mesure », pour que l’élève y retrouve le désir d’apprendre : chacun travaille à son niveau, à son rythme, selon ses possibilités actuelles.
6 – Reconnaître qu’en éducation, toute relation duelle, bonne ou mauvaise, est nocive. Des médiations entre l’enseignant et l’élève sont indispensables.
7 – Soutenir les échanges matériels, affectifs et verbaux, qui sont la condition de tout progrès (échange implique réciprocité).
8 – Accepter que les tensions et conflits sont non seulement inévitables mais encore nécessaires, et qu’ils se résolvent en passant par la parole.
9 – Concevoir l’institution comme une réponse à des besoins ressentis et exprimés, donc créée et modifiable par le collectif : il s’agit de construire un loi qui permette à chacun d’être respecté (« la simple règle qui permet d’utiliser le savon sans se quereller est déjà une institution »). On appelle aussi « institution » les différents outils et techniques mis au point par la pédagogie institutionnelle.
10 – Construire un cadre éducatif basé sur "les 4 L" :
- un lieu, la classe, où l'élève puisse être "je" au milieu des autres ;
- des limites (de lieu, de temps, de pouvoir), pour permettre à chacun d'avoir sa place au sein du groupe ;
- la loi, matérialisant ces limites, protégeant les conditions de l'échange
- le langage, support des échanges, qui peut alors se déployer sereinement
Les pratiques de la pédagogie institutionnelle travaillent la question suivante : qu’est-ce qui fait exister l’élève comme sujet de son éducation ? Deux réponses sont apportées.
Premièrement, accueillir l’élève, lui faire sa place - singulière parmi les autres - lui permettre d’exister tel qu’il est, comme il est, là où il en est de ses apprentissages didactiques et de ses comportements sociaux.
Deuxièmement, lui permettre d’accéder à cette position d’auteur de lui-même, progressivement, par le contrôle collectif, la confiance et la sécurité. Les conditions de l’existence de l’élève « sujet » sont rendues possibles grâce à l’inscription dans les lieux, des temps, des espaces où le sujet sait qu’il sera reconnu, que sa parole sera entendue, aura « droit de cité ». La prise de responsabilités diverses, adaptées aux possibilités du moment participe de cette existence. Enfin, les ceintures - particulièrement les ceintures de comportement - sont un outil essentiel de reconnaissance des progrès et d’accession à cette position d’auteur de soi-même, responsable, en conquête progressive d’autonomie.
Robbes, B. (2014). Introduction à la pédagogie institutionnelle. Conférence prononcée à l’Alliance Française de Paris, 15 janvier 2014, CASNAV/AFPIF/AFEF.
Classe multiâge
La classe multiâge
L'idée de PIDAPI est en lien avec les classes multiâges. Des enseignants de l'école Balard de Montpellier décident d'organiser les classes en cycle comme le prônent les instructions officielles depuis le début des années 1990. Pour accompagner la progression des apprentissages ils s'appuient sur les compétences de cycles mais très peu d'outils pédagogiques disponibles permettent de la faire. Ils décident donc de construire ces outils et lancent PIDAPI première version (1998-1999).
Cette page regroupe des ressources autour de ces classes mutliages. Elle s'étoffera avec le temps.
Tout d'abord, le REMARQUABLE travail de Bruce Demauge Bost, disponible sur son site : "AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS D’UNE CLASSE DE CYCLE" qui compile, en sus, des articles de différents auteurs sur le sujet.
Nous recommandons chaudement le livre de Sylvie Jouan : La classe multiâge d’hier à aujourd’hui. Archaïsme ou école de demain ? (ESF éditeur 2015) dont vous pourrez lire une présentation ici (dans les Cahiers Pédagogiques).
Des textes :
-
Les dix enseignements d’une classe multiâge de Sylvain Connac
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Un article dans les cahiers du CERFEE. Des notes de lecture du livre de S. Jouan par S. Connac
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Une synthèe des échanges d'une rencontre à Aujargues en 2010 sur le thème : "La classe multiâge, comment démarrer ?"
- L'expérience de classe mutuelle au lycée en 2018 relatée dans un article du café pédagogique : clic et le site en lien : http://classemutuelle.fr/
-
Primaire : près d’un élève sur deux est scolarisé dans une classe « multi-âge » - Article - the conversation
Un peu d'histoire avec "Rue des écoles" de France Inter autour de l'enseignement mutuel (à partir de 8min 51sec) qui nous aide à comprendre pourquoi la classe simple niveau est devenu le modèle :
D'autres resources sur le site ICEM34 sur cette page.
Personnalisation des apprentissages
Personnalisation des apprentissages
Depuis longtemps, les pédagogues ont essayé de répondre à ces attentes en introduisant la différenciation. Elle visait à refuser l’indifférence aux différences. « Différencier, c’est faire en sorte que chaque élève soit, aussi souvent que possible, placé dans une situation féconde pour lui. »(1) Malheureusement, à ce jour, nous constatons la très relative diffusion de ces pratiques. Pour deux raisons :
- d’abord parce que différencier demande plus de temps à l’enseignant pour préparer et conduire la classe,
- ensuite, parce que cela nécessite des compétences parfois très sophistiquées au niveau des organisations pédagogiques.
Les spécialistes des questions relatives à la prise en compte de la diversité des élèves ont alors évoqué la piste de l’individualisation : apporter une réponse individuelle à chaque élève. Mais également, cette voie s’est avérée une impasse pour plusieurs raisons : travailler seul représente une tâche que l’on peut difficilement tenir longtemps (l’humain est naturellement attiré par l’humain), les besoins en matériel nécessaire sont conséquents, les meilleurs élèves sont ceux qui en profitent le plus et le temps consacré à l’évaluation est démesuré au regard du temps nécessaire pour favoriser des apprentissages.
Devons-nous donc faire le deuil d’une école pour chacun et en rester à une scolarisation qui ne convient qu’à certains et condamne les autres à des horizons d’avenir moins émancipateurs ? Certainement pas. C’est ici que la philosophie de l’éducation s’avère éclairante.
En philosophie, une personne n’est pas un individu. L’individu se définit comme l’être insécable, indivisible, celui qui fait un. La personne est autre. Les mots persona chez les Romains et prosôpon chez les Grecs désignent un masque, utilisé au théâtre pour investir un personnage et servir de porte-voix. En conséquence, bien plus que l’individu, la personne est tournée vers les autres, englobe son propre environnement relationnel. C’est un philosophe toulousain, Louis Not, qui décrit le mieux cette distinction : alors que l’individu est le JE, la personne est le JE + NOUS. Nous touchons là une distinction hautement précieuse en pédagogie.
ou
Individualiser, c’est donner à chaque élève un travail qui lui correspond. Personnaliser les apprentissages, c’est trouver un équilibre entre l’individuel et l’interactif.
Dans une classe, c’est alterner des moments de travail collectif avec des situations de travail personnel, où les élèves effectuent des tâches qui leur parlent, avec la liberté de collaborer avec des camarades.
Nos recherches ont conduits à caractériser de manière plus fine cette personnalisation des apprentissages.[2] Elle s’articule autour de trois piliers, permettant à chacun de construire un équilibre, à chaque fois singulier :
- Le pilier du didactique - des situations d’enseignement-apprentissages conduites par un enseignant à partir des logiques socioconstructivistes : expression des représentations spontanées, exploration d’une situation-problème, conflit sociocognitif par du travail de groupe, confrontations, structuration par l’enseignant, systématisation
- Le pilier du travail individualisé – des activités adaptées et progressives : à partir d’un traitement individuel des évaluations formatives et de supports d’entraînements autocorrectifs permettant aux élèves de progresser suivants des parcours propres à chacun.
- Le pilier de la coopération – une organisation rigoureuse de l’aide, l’entraide, le tutorat et le travail de groupe : pour que les élèves qui maîtrisent des compétences deviennent des personnes ressources dans la classe, pour que ceux qui rencontrent une difficulté ne se retrouvent pas seuls et bloqués, pour que les interactions permettent une évolution majorante des conceptions, pour que l’enseignant ne soit plus seul dans la délicate entreprise de l’accompagnement des apprentissages.
Ainsi donc, une classe personnalisante tend à articuler de manière dialectique deux types de situations d’apprentissages pour les élèves : des moments de construction collective des connaissances, où l’enseignant n’hésite pas à combiner ce qu’apportent les élèves avec ce qu’il transmet, et des moments de travail personnel, où les élèves s’engagent dans des tâches scolaires adaptées, qu’ils se sont en partie données et qu’ils peuvent développer en coopération avec d’autres.
(1) Perrenoud Ph. (2012). L’organisation du travail, clé de toute pédagogie différenciée, ESF Editeur, p 26.
(2) Connac, S. (2012). La personnalisation des apprentissages. ESF Editeur.